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                                                UNE COSMOGONIE DES MARGES.

 

Le temps est nécessaire pour digérer une œuvre et Il faut un certain temps pour se délecter de la polysémie d’un travail. Assommé par la routine du quotidien je me suis lancé dans un « look quickly » des photos de Bruno Falibois un jour de pluie. Un peu frénétiquement j’enchaîne les photos sur le net comme un « player » enfile les points à l’aide de son « joystick».

Des murs, des murs et encore des murs dans la série des « murs soufre », dans la série « présents urbains » et dans la série « chronophages ». J’ai l’impression de disséquer un Rauschenberg dont il est proche. Chaque photo est une explosion de matière un peu abrupte, un peu abimée, un peu
fissurée et pourtant tristement banale. Ci-git du béton, là des enduits et des plâtres qui croulent…chaque photo est le compte rendu d’une mort annoncée de la matière… Une cosmogonie se délite petit à petit, miette par miette et chaque construction nous dévoile son impermanence. Tout un ensemble de vanités urbaines un peu laides et moroses s’enfilent à la queue leu leu comme si il avait mitraillé la cité anarchiquement pour évoquer cette ancienne ville de Bordeaux en perpétuel changement depuis une dizaine d’années… voilà ce que je ressens…

Je regarde encore : la série « chronophage » est plus colorée avec des bleus métallisés, des portes de fer et de rouille, des champs de blés couleur paille qui sont comme ces champs d’herbes folles et comme cette « étude de silhouette dans un paysage » de Bacon en 1952 avec du blé, du blé, du blé. Un petit panneau « à louer » apporte une touche dynamique de bleu marine dans un monde oxydé. Les autres photos sont du même acabit, des roses légers se marient harmonieusement aux bleus délavés des ciments. Des cicatrices d’enduits zèbrent des murs ineffables. Rien ne se passe sinon un lent délitement du monde. Les roses s’affrontent aux orangés des façades (Portugal ?). Des journaux obstruent les verres des fenêtres mais ces journaux s’arrachent aussi et la lumière finit par pénétrer dans ces masures dont on a du mal à prendre la mesure. Sur une façade un imprudent, sans doute « libre penseur » égaré dans un monde consumériste, a gauchement écrit « open your eyes ». C’est une injonction à laquelle nous propose d’adhérer Bruno Falibois. Ailleurs, dans une autre série, c’est un laconique « PENSEZ » qui nous est proposé. D’autres murs finissent d’être comme ces essais de matières à la manière de Rauschenberg : ici et là des éclats de goudrons scintillent, des étincelles de peintures ébènes jaillissent, de la rouille suinte aussi de quelques crépis. Une fenêtre est obturée par des briques et du ciment. Dans une autre vie Bruno Falibois a dû être peintre, peut être rattaché à l’école de l’art informel d’après-guerre et proche sans doute d’un Fautrier ou d’un Tapiés. D’ailleurs une de ses nouvelles séries s’intitule « le regret de la peinture ». Ça veut tout dire. Un autre mur de cette série « chronophage » me rappelle Clifford Still et ses zébrures où des fissures blanches traversent l’espace plan de la photo et sont comme autant de cicatrices circonstancielles. J’ai fait le tour des effets de matière et j’ai évoqué le photographe imprégné d’effets « brut ». Des effets que nous retrouvons avec allégresse dans la série « objectif Bordeaux » avec une somme de floutages, d’anamorphoses et de miroirs brisés, parfois en morceaux, dont il est adepte. Mais au fond quels sont les symboles et quel est le sens de cette profusion d’images du délitement ?

Je vais me concentrer sur une seule image car il me faut un amer dans ce tumulte de propositions. La photo du pont d’aquitaine dans la série « objectif Bordeaux » me servira donc de repère fixe. Au loin le pont d’Aquitaine, un morceau seulement. Ici en Gironde tout le monde le connait. On en voit un pilier, il nous apparait à travers les frondaisons des arbres comme est apparu la main de la statue de la liberté à Charlton Heston dans la scène finale de la planète des singes (quand il s’écroule sur la plage). Le pont d’Aquitaine nous apparait au loin comme ça : il nous est en quelque sorte révélé au travers d’un prisme végétal. C’était le futur et le progrès et puis c’est maintenant un peu le passé aussi alors que notre monde contemporain semble combattre la circulation à outrance et les pollutions qu’elle engendre ce pont nous apparait plutôt laid et obsolète. D’ailleurs la plupart du temps il est sujet aux bouchons comme un vieux fumeur victime d’emphysème. Totalement encombré. Au premier plan dans une sorte de marécage girondin, une passerelle de bois nous apparait aussi partiellement. Elle est sans doute une passerelle qui emmène à un carrelet. Elles aussi sont obsolètes dans notre monde ravagé. Les aloses, saumons et lamproies se font rares quand elles n’ont pas tout simplement disparue. Qui entretient encore ces cabanons de pêche qui sont comme autant de vestige du XXème siècle ? Le pont d’aquitaine et la passerelle se répondent, le pont monumental, béton et fer, traversé quotidiennement par des milliers de travailleurs pressés et au premier plan, bientôt englouti par Garonne cette petite passerelle de bois mité nous rappelle qu’il y a eu le bon temps. Et pour ceux qui connaissent la région, en dessous c’est ce bon vieux quartier de Bacalan, la rue jean Vaquier, le chemin Laffite. Un autre Bordeaux, moins touristique, moins fashionable. Cette photo a un aspect fin du monde et cataclysmique qui me rappelle la bande dessinée « Jeremiah » de Hermann. D’ailleurs maintenant que j’y pense beaucoup des photos de Bruno Falibois sont aussi une évocation lointaine de l’univers de Jean Giraud, un peu lunaire, un peu vide, un peu astral…un peu « Arzach », un peu « monde d’Edena »… Plus j’y pense et plus je trouve que l’ensemble est à la lisière du classique « Stalker » de Tarkovski. Voilà, la plupart du temps il nous montre un monde à la lisière : marécages périurbains, plages abandonnées, morceaux de murs, excavations, immeubles décatis, câbles électriques emmêlés à même le sol. Une tendance à la biomécanique semble éclore par ci par là.

En fin de compte tout porte à croire que le travail photographique de Bruno Falibois oscille entre deux pôles, la plupart du temps un univers voué à la décrépitude et au délitement des architectures, aux voitures rouillées enfouies sous des végétations (plusieurs photos nous montrent des carcasses de voitures), aux animaux marins échoués (photos laconiques de mollusques pouce-pied déposés par l’écume sur les plages de la côte atlantique) et même dernièrement des carcasses et ossuaires dans les Pyrénées sauvages. Et puis, ponctuellement, des images de résurrection quand des herbes vertes semblent pousser à travers son corps notamment dans la série « le moi peau ? »… Comme pas mal d’artiste de sa génération il aime mélanger à sa pratique des axes de réflexion métaphysique tel un Bill Viola dans ses vidéos ou un Jodorosky dans les scénarii de bandes dessinées. Dans un monde sans repère, voué aux flux incessants du virtuel et des réseaux sociaux il est parfois bon qu’un langage plus terrestre, plus tellurique même, s’adresse au regardeur à travers des gestes simples, de l’herbe, des morceaux de miroirs, des os…tout un arsenal discret d’incantation et de photos propitiatoires.

Petit à petit un monde homogène émerge, ce monde à la lisière, où les déchets et résidus de nos existences humaines apparaissent aux regardeurs comme les fossiles indélébiles d’une ère anthropocène. Tout un univers que l’homme a encombré de son industrie et où l’on voit, pèle mêle, des carcasses de voitures sous les ronces, des barrières de fer abandonnées sur les plages. Des câbles électriques semblent alors fleurir dans des friches industrielles à la manière de fleurs vénéneuses. Aussi Bruno Falibois, dans ses étonnantes série d’autoportraits, se présente alors parfois comme un shaman moderne, qui s’amuse à contrarier le destin à l’aide de petits morceaux de miroirs, d’herbes de flacons et de fioles…comme si l’artiste avait ainsi le pouvoir d’influencer positivement la triste marche d’un monde voué à son autodestruction. Parfois, et si l’on fait abstraction de tous ces éléments de langages déjà éprouvés par un monde de l’art qui les répète souvent inlassablement : anthropocène, chamanisme, tellurique, entropie sont des termes dorénavant éculés en matière de critique…Mais au-delà des mots et de la théorie il semble que Bruno Falibois fasse surtout office de poète et que ses photographies soient celles d’un poète de l’image en ceci que chacune de ces photos est un petit morceau embelli et ensoleillé, un fragment doré, né d’une réalité plus vaste et inquiétante.

Enfin j’extrapole et je suppose qu’il ne m’en voudra pas trop. Lorsqu’on se croisera on en parlera, entre deux bières et entre deux évocations des Caraïbes. Peut-être qu’il fera allusion a ce pont qu’il aimerait voir naitre de Bordeaux à la Guadeloupe et dont son travail photographique est aussi parfois la gestation. On parlera de ses photos et du fait que dans ses rêves et mythologies personnelles, comme il me le confia il y a peu, « l’image n’était pas tout à fait morte en lui » et que c’est pourquoi il continue de mitrailler au Panasonic un univers qui parfois s’émiette, parfois se floute et qui parfois nous suggère de simplement « PENSEZ ».

Texte de Nicolas Bulf Guide-conférencier 2016.

Accrocher avec Bruno Falibois, c'est se glisser dans une autre relation au temps. Décalage horaire, gestes souples et indolence. Rires, sourires, grands gestes avec les bras. Nous sommes sortis à deux heures du matin. L'exposition est belle, très belle. Mais je suis partisan.

Puisant directement à la source de l'œil Bruno Falibois propose une œuvre photographique hypersensible qui traite judicieusement du rapport frontal de l'homme dans son environnement proche. L'architecture, la relation précise au paysage urbain, des rapports colorés illustrant, tantôt ses origines, tantôt l'omniprésence des lieux de son enfance, nous propulse aux confins d'un imaginaire transfiguré par des cadrages bruts et sophistiqués à la fois, le tout dans une urbanité exacerbée.
Une photographie humaine, débarrassée des codes pédants, qui se confronte directement aux sentiments contemporains de solitude, d'errance et de révolte.

Texte introductif de Christophe Massé pour le Boustrophedon n°16 - Les murs soufre


                                                                     Bordeaux foncé


Une simple photo, convenue, prévisible. Trois générations d’homme.  Un grand-père, un père, un fils. Assis, cote à cote, le fleuve défilant en arrière plan.  


Non, ce n’est pas si simple.


Une vie de canne, de lambis, de manguiers. La traversée. Les chiffres, le  code, les courbes. Les courbes déhanchées. Semer. Le retour, le repli moite et marin. Semer toujours.  Semer des êtres.


Une naissance métissée, épicée, plissée.  Une enfance échouée, écartelée, débattue. Le lien à la rescousse. La bouée/branche insubmersible, flottant sur les images.


Les yeux noirs ouverts. Encore eux.  Fixant mon histoire dès le premier cri. Leur lointain disparu. Leur abandon migrant de la tète au bide. Aucune échappatoire.


Ville système. ville Vinaigrée. Ville nègre sous la peau blanchie. Ville poncée entre les échardes.

 
Le petit homme danse.  Lui offrir l’océan, la foret, les seuls refuges. Le papillon en face. Gratter le sable. Noircir les ongles. Dégager les racines.


Il agrippe, il somme, il porte. Il nous tient de ses deux mains sous-marines.


Il fait beau. La lumière du matin taille le bois et griffe l’eau limoneuse.


Clic.

Bruno Falibois 2016.

 

Une Photo de Tête écrite pour l'exposition d'Olivia Del Proposto "Mademoiselle s'installe" aux Ateliers du Bout du Monde à Lorient (juin 2016).
 

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